Il faut sauver le soldat Jacqueline

Even ne comprit, une fois de plus, rien à ce que sa colocataire involontaire lui racontait.

Bien sûr qu’ils étaient des pions dans son jeu, mais quel était le rapport avec ce qui venait de se passer ? Et pourquoi lui disait-elle qu’elle l’aimait bien et qu’il ne devait pas mourir ?

Même quand elle revenait dans le sujet, Ijli semblait à côté de la plaque. Comme d'habitude.

« Moore s’en souviendra. Ils se connaissent. » lui rappela, ou lui apprit-il ? Il ne savait jamais trop ce qu'Ijli savait.

Puisque ça importait peu de toute façon, Even embraya sèchement sur ce qui lui semblait être le sujet principal.

« Pourquoi tu m’as dit qu’il n’avait pas prévu d’aller chercher Hamilton ? »

Il n’y avait que ce point qui le tracassait. Qu’il avait besoin d’éclaircir un tout petit peu, avant de ranger cette histoire sur le côté et certaines informations qu’il avait entre les mains de Moore.

__–C’en était… un peu trop pour Al-ʻIjliyyah. Elle se tourna vers Even avec un air… Si les grenouilles pouvaient pleurer…
__–« Elle est morte, Even. Il l’a tué. Il lui a tiré un missile dessus. Pourquoi tu ne comprends jamais. Il lui a tiré un missile dessus, parce que la vie de personne ne vaut rien à ses yeux, tu comprends ? Pff, qu’est-ce que je raconte. Bien sûr que non, tu ne comprends pas. »
__–Excédée, elle se leva et rentra. Après tout, Even savait le faire tout seul – et il ne risquait pas de la rattraper.

Even papillonna des yeux.

Non, en effet, il ne comprenait pas. Ce n’était pas logique. Moore n’avait aucune raison de faire ça. Ou s’il en avait une, ce n’était pas la peine de se mettre dans cet état.

Et puis, ce n’était pas juste. Elle ne lui expliquait rien, partait dans tous les sens, et après l’accusait de ne jamais comprendre. Puis elle savait que à cause des Dessinateurs il avait besoin qu’on lui explique plein de choses qu’il avait oubliées.

En colère, il se leva pour aller lui dire que de toute façon il en avait marre et que c’était elle qui ne comprenait rien.

Avant d’être interrompu par la ceinture de sa chaise. Dont le seul rôle était d’éviter un accident de dissociation.

C’était Ijli qui l’avait fabriquée.

La colère laissa place à la frustration, puis à l’impuissance, puis au doute et à l’incompréhension. Puisqu’on ne voulait pas lui expliquer, et qu’il voulait rentrer quand il serait plus calme, il se laissa réfléchir un peu.

Pourquoi Moore avait-il tué Hamilton ?

“Tu dois la récupérer. Vivante, si possible. “

C’était ce qu’il lui avait demandé. Even en était sûr.
Son intention était de la ramener. Car elle avait des compétences importantes. Car elle avait des informations importantes — cruciales même. Car elle était, indiscutablement, et plus que tout, importante.

“Ou elle vient de son plein gré, ou tu trouves où elle est, tu me le dis et on la supprime. Si elle fout le bordel, on va perdre notre créneau...”

C’était ça. Le moment où les choses avaient basculées. Où il avait envisagé de la tuer.
Puis Hamilton avait refusé. Insisté pour que Moore ne vienne pas. Insisté pour qu’on ne la trouve pas. Il s’en souvenait bien. De ça. Et de la colère qu’il avait ressentie à son encontre.

En vérité, Hamilton ne leur avait pas laissé le choix. Elle avait été impossible à convaincre. Elle n’avait rien compris. Rien voulu comprendre.

En conséquence, il avait fallu la tuer. Pour la cyance.

C’était terrible, et Moore avait tout fait pour l’en empêcher — même envisager d’aller la chercher lui-même en plein territoire ennemi. Terrible mais il l’avait fait car c’était nécessaire. La guerre est faite de choses comme ça, Fibonacci le lui avait dit.
Elle lui avait dit que Ijli savait construire de jolis objets, mais n’arrivait pas à saisir le sens de leur combat.

Even, lui, serait différent.