[Jeu] Chamboule-tout

« Félicitations ! »

L’employée qui avait vu Amundsen faire son strike, une petite vieille dans un costume de mascotte ridicule, frappa entre ses petites main flétries.

«  Vous avez beaucoup de chance, mon p’tit monsieur. ‘Tendez-moi deux secondes, je vais vous chercher vot’ lot.* »

Elle se retourna puis, en se dandinant, se dirigea vers une pile de caisses à côté du stand, près desquelles se trouvait sorte de cage à hamster, nonchalamment recouverte par un voile. Elle y plongea la main, puis en ressortit une petite créature -  dont il était facile d'entendre les couinements aigus - et retourna voir Amundsen après l’avoir à moitié emballée dans un petit sac.

«  Des cyantifiques ont reproduit en masse ces petites bestioles pour étudier les hybridations, et comme ils savaient plus quoi en faire, ils nous ont filé leurs surplus. Vous allez voir, ils sont a-do-rables ! »

Elle posa le pauvre petit rat dans les mains d’Amundsen. Comme tous ses malheureux camarades - probablement entassés dans la cage des forains depuis un bon moment -, il avait écopé d’une des nombreuses mutations possibles : rataile, rathon, rat-pierre ou autre espèce dont on n’avait pas encore trouvé le nom.

«  Bon vous ferez attention par contre, ajouta-t-elle,  ils font des p’tits tout le temps, j’crois que c’est lié aux jours esquisséens ou un truc du genre, bref, on sait pas comment les stériliser. L’maltraitez pas surtout, les animaux c’est vivant hein. »

Elle tapota la tête de la créature, puis termina, sur un grand sourire.

«  Bref, encore bravo, profitez bien d'vot' cadeau et n'hésitez pas à rejouer ! »

« Pour avoir démoli la pile du SOC, les marchands de la Nouvelle Initiative Syndicale (NIS) vous offrent un bon d’achat utilisable dans toutes leurs boutiques ! Vous n’en avez jamais entendu parler ? Vous vous renseignerez, j’suis pas payé à faire le guide, moi. », vous annonce nonchalamment le responsable du stand.

Heureusement, à côté de vous, une personne un peu mieux renseignée – et significativement plus aimable – vient vous faire un topo. La NIS serait une organisation rivale du SOC, regroupant la majorité des commerçants n’ayant pas voulu l’intégrer pour diverses raisons. On y trouverait notamment des marchands situés hors de la Ville, reprochant au SOC de trop normaliser ses règles sur les commerces urbains sans prendre en compte les conditions spécifiques auxquelles sont confrontés les commerces extérieurs ; cela provoquerait des désaccords du type : « oui, madame, mes prix sont plus élevés que vos standards, mais c’est pas forcément facile pour moi de faire acheminer ma matière première jusqu’au sommet de la colline infestée de Lancastors où j’ai installé ma boutique ! ». Mais on trouve aussi quelques commerçants de la Ville, comme la patronne du Bar Masqué, qui aurait eu un certain nombre de différends avec le SOC – la vente d’œuvres d’art étant un terrain glissant quand on parle de régularisation des prix, ça ou le fait qu’elle tende à faire payer les consommations de ses clients en fonction de leur attrait pour l’art des Arthystes.

Manifestement, l’association n’est pas assez grande pour avoir un impact sérieux dans la politique de la Ville, et il est clair qu’un bon d’achat chez ses adhérents n’aura pas la même valeur que son équivalent chez les membres du SOC. Mais qui sait, vous pourriez tomber par hasard sur une boutique qui l’accepte.

«  Faites comme vous voulez, tant que ça n'a pas l'air d'être ostensiblement de la triche. répondit le responsable, toujours aussi apathique.  Nous, on n’aura des problèmes que si un groupe arrive à prouver que sa pile est plus facile à tomber que les autres. »

Sitôt que la pile des cyantifiques s’effondre, sous le regard des gérants du stand et de ceux qui attendent derrière, un tintamarre d’applaudissements et de cris en tout genre vient célébrer son triomphe, non sans cracher au passage quelques jurons à l’intention de ces “grippeminauds et foimenteors”, tel que l’exprime un enfant juste à côté — ou de “ces gros bâtards” pour un vieux monsieur à la moustache à sa droite.

— Bah alors mon petit, c’est du joli, complimente la dame à l’outrancier costume de mascotte, avant de chercher dans ses cartons le lot qu’elle doit lui remettre, pendant qu’un autre joueur du stand commente “Vous deviez vraiment leur en vouloir, c’était impressionnant à voir”. Attendez un peu que je me retrouve… Ah oui, c’était ça ! Eh bien je vous laisse découvrir par vous-mêmes ce qu’il en est.

Elle tend une enveloppe à Nil. Lorsqu’il l’ouvre, il peut découvrir — ou reconnaître — un ticket d’invitation, pour un majestueux bal qui se tiendra en fin de quinte. Constatant qu’il a eu un gros lot, un melon-chapeau qui volait au-dessus de la petite foule s’exclame, ce qui rapplique encore plus de monde et génère une nouvelle salve d’applaudissements, de demandes de noms et de compliments à l’égard du nouveau “Roi du chamboule-tout”.

Lorsqu’il parvient enfin à s’extirper de ce couronnement improvisé, ou qu’il est enfin oublié sitôt qu’un nouvel évènement a attiré l’attention, Nil est interpellé par la présence d’un épais buisson qui n’a strictement rien à faire là, et dont six mocassins dépassent nettement.

Et quand je dis interpellé, c’est qu’il est littéralement interpellé, à grands renforts de “Psssst”, “Héééé”, puis “Excusez-moi ! Monsieur !”. Dès qu’elles captent son attention, les trois dames en costards et lunettes se jettent hors de leur cachette et encerclent leur victime.
— Toutes mes félicitations, Monsieur, pour cette victoire éclatante, commence l’une d’elles, en tendant sa main pour la lui serrer.
— Assurément remarquable. La Ville a besoin de plus de gens comme vous, continue une autre.
— Nous serions tout à fait honorés de vous voir à l’une de nos réunions, termine la dernière.
— Mais dites-moi, Monsieur, reprend la seconde, je me permets de constater que vous n’avez pas de tenue de soirée…
— Si il vous plairait d’arborer des couleurs qui vous ressemblent, et surtout qui nous rassemblent…
— Nous avons une modeste proposition.

La dernière qui a parlé sort du buisson une tunique orange, que les deux autres étendent pour confirmer qu’elle irait à merveille à l’homme blanc. Celle-ci semble de relativement bonne facture par rapport à ce qui se fait dans la cité, à condition d’apprécier le logo cy-anti et le slogan “La Ville retrouvée” brodé en-dessous. Alors, Nil va-t-il devenir la nouvelle égérie de la cy-hantise ?