Derrière le Laboratoire

__–Hé bien hé bien.
__–Rosalina sortit elle aussi de quoi écrire de sa mallette et partagea.
__–« Voyons, monsieur Wilkins, rassurez-vous, il n’y a aucun lien entre manger le sable et provoquer des séismes. Je ne suis pas sismologue, mais je sais au moins cela. Quel goût avait-il, d’ailleurs ? »
__–Il était très difficile pour elle de ne pas se moquer des handicapés.

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Quand il vit Rosalina non seulement sortir, mais partager son papier, le visage de Wilkins s’éclaira à nouveau. Puis il écouta et fit mijoter sa remarque, avant de répondre, comme si la Dessinatrice avait dit quelque chose de parfaitement absurde :

— Qu’est-ce qui vous fait dire qu’il n’y en a pas ? Si les grains de sable étaient tous reliés entre eux comme les minutites, et s’ils réagissaient à la salive, il pourrait suffire d’en goûter un pour altérer le comportement de tous les autres, et pourquoi pas faire trembler le sol… Ou bien attirer des créatures dans le sol et provoquer du mouvement… Enfin, si Averroès n’a rien dit, vous devez avoir raison…

Il se baissa, captura entre ses doigts une toute petite pincée de sable, qu’il tendit à Rosalina avec ce genre de sourire dont on saurait difficilement dire s’il est mesquin ou sincère.
— C’est le même goût que la pothéose, vous voulez essayer ?

__–« Ce que vous dites n’a absolument aucun sens, monsieur Wilkins. Hm. En conséquence de quoi, c’est sans doutes vrai. Vous êtes très aimable, mais je suis déjà un peu ballonnée. Qu’est-ce que la pothéo… se ? »
__–Elle se rendit compte du jeu de mot quand elle le prononça à voix haute. Un sable, une poudre, qui menait à un état suprême ? Rosalina n’en revint pas de prononcer cette phrase à voix haute :
__–« … Monsieur Wilkins, ce sable, serait-ce de la cocaïne ? »

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Aux dires de Rosalina, Wilkins laissa échapper pendant quelques secondes l’expression de quelqu’un qui venait d’entendre quelque chose d’à la fois complètement incongru et vaguement terrifiant. Quoi qu’il ait compris des paroles de la Dessinatrice, elles avaient visiblement suscité un instant de profond égarement, puis une ébullition de tentatives de leur trouver un sens, qui se manifestèrent d’abord par un tapotement des pieds sur le sol, puis des pas dans les alentours, des doigts qui se tortillèrent autour du papier qu’il gardait sagement et des paroles lancées en l’air.

« Je n’avais pas pensé que le sable lui-même pourrait être vivant… Vous avez peut-être raison… (Il marmonna, puis se reprit: ) Il nous faudrait un microscope pour vérifier. »

Avec un brin d’admiration dans le regard, il ajouta :
« Vous êtes biologiste ? »

__–Cette discussion était aussi fatiguante que celle avec Mérovée.
__–« Hélas non, je ne suis que peu versée dans les sciences… Je connais assez de latin pour comprendre Linné, mais mes connaissances en la matière se bornent à cela. Dites-moi, votre compagnie m’enchante, mais quand est-ce que votre estimé collègue compte revenir ? Et sauriez-vous, au juste, les raisons de notre présence ici ? »
__–Elle n’espérait même plus une réponse compréhensible, à ce stade, mais se disait qu’elle pouvait toujours être surprise. Et au moins, cela lui ferait passer le temps.

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À nouveau, Wilkins parut trouver dans les paroles de Rosalina toutes sortes de motifs d’étonnement, le premier duquel suscita une question qui n’avait rien à voir avec celles que venait de poser la Dessinatrice :

« Vous avez lu Linné ? »
Puis, semblant lui-même comprendre qu’il avait quelques phrases de retard, il se reprit :
« Ah, je ne sais pas… Peut-être qu’il a croisé quelqu’un dans le garage, ou qu’il nous attend déjà… »
Puis, semblant lui-même comprendre qu’ils n’avaient pas bougé d’un pouce depuis qu’Averroès leur avait expressément dit d’avancer en son absence, il sursauta, puis se reprit :
« Le lac ! »

Il commença à marcher vite et réfléchit par la même occasion à la dernière des questions.

« Pour étudier le tremblement de terre, allons. » lâcha-t-il alors, presque comme s’il trouvait que Rosalina était, ou complètement fêlée, ou aussi tête en l’air que lui. « Vous avez lu Linné ? » répéta-t-il juste après, comme s’il était lui-même complètement fêlé, ou aussi tête en l’air qu’elle.

__–Hm.
__–Rosalina se promit de surveiller plus étroitement ses paroles, à l’avenir. Cela dit, comme le sujet était lancé…
__–« Très partiellement et je n’ai pas tout compris. Qu’est-ce que vous en avez pensé ? Je m’intéresse plus à l’auteur qu’à ses travaux, pour ne rien vous cacher. Est-ce que j’aurais la chance de le rencontrer ? »
__–Et elle le suivit jusqu’au lac, ou ce qu’il en restait, sans relever tout ce qu’il pouvait bien raconter, ou elle s’arracherait ses cheveux si bien entretenus.

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Puisque Rosalina surveillait ses paroles mais pas sa tendance à poser plusieurs questions en même temps (bien que cette fois, au moins, les questions portaient sur un sujet similaire), Wilkins sembla à nouveau s’emmêler dans la quantité de choses auxquelles il pensait simultanément, alors qu’il marchait à rythme inconstant vers le lac.

« J’ai essayé de comprendre ses équations de mouvements incohérents, comme elles sont plutôt importantes, enfin l’algèbre linnéaire de façon générale, mais il y a beaucoup de… (il parut buter sur un mot, puis rebondit dans une autre direction) Hertz pourra essayer de vous l’expliquer. Il a rencontré plusieurs fois Linné, quand on était tous au village, je crois que c’est le seul… (la mémoire fusa tout d’un coup) Ah, c’était ses matrices. Je ne sais pas si vous connaissez, ce sont des chiffres écrits sur plusieurs colonnes et lignes, que vous pouvez combiner entre eux selon plusieurs règles, et qui vous servent à étudier l’Esquisse ou à peindre. Hertz pourra mieux vous expliquer… (Il reboucla enfin sur ce qu’il avait interrompu) Mais je ne sais pas si vous pourrez le rencontrer, il travaille tout le temps et ne parle qu’à ceux qui ont compris ses théories, et il est peut-être mort depuis le temps… (Il s’arrêta brutalement.) Je parle de Linné, pas de Hertz. Hertz est toujours vivant. (Il reprit son chemin) Qu’est-ce qui vous intéresse chez Linné si ce n’est pas son algèbre ? »

Le temps de cette tirade, le duo était arrivé à destination.

Le petit lac des abords du Laboratoire était tel qu’il avait été aperçu pour la dernière fois : vide de tout ce qui aurait pu permettre de s’y baigner. Par chance, il semblait tout autant vide d’Objets, du moins dans les alentours immédiats…
…Et par malchance pour qui s’inquiétait de l’état à venir de ses cheveux, il était aussi vide d’Averroès. Du moins pour l’instant.

« Si le sable est vivant, il l’a peut-être déjà mangé… » suggéra Wilkins en toute innocence, alors qu’il longeait les bords du lac en laissant virevolter son regard un peu partout. Quand il lui parut clair qu’aucune scène de crime ne l’attendait dans les parages, ou simplement sur un coup de tête, il se laissa d’un coup choir sur un tronc de turboisier qui faisait face à la grande étendue. Mécaniquement, il commença à en tripoter les feuilles.

__–Rosalina écouta d’une oreille distraite autant qu’elle était attentive. Par là, nous voulons dire qu’elle ne s’intéressait pas exactement aux informations que Wilkins donnait, mais à celles qu’il sous-entendait. Linné était donc un contemporain – ou Hertz un vénérable vieillard –, il y avait un village, d’où venaient les cyantifiques et il vivait reclus. Peut-être détenait-il des savoirs intéressants ? Il faudrait creuser la piste.
__–Pour le moment, la question de savoir ce qu’elle faisait ici, plutôt qu’à s’occuper de la diplomatie du groupe, restait le mystère le plus épais. Elle sourit, comme à quelqu’un à qui on doit répondre, en dépit de sa perte totale d’intérêt pour la conversation :
__–« Sa personnalité. »
Wilkins prit une pause sur un arbre, non sans avoir déblatéré quelque terrifiante horreur, que Rosalina choisit d’ignorer purement et simplement.
__–« Quelque chose semble vous troubler, monsieur Wilkins. Est-ce que je me trompe ? »

Résumé :

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La réponse de Rosalina parut à la fois surprendre et laisser complètement de marbre le cyantifique, dans une expression qui ressemblait à une sorte de désespoir surjoué.

« Ah, vous croyez ? » lâcha-t-il avec lassitude et curiosité, toujours en tenant les feuilles entre ses doigts.

Heureusement, Rosalina n’eut pas à lui faire la conversation plus longtemps, puisqu’elle vit Averroès courir vers elle, et avec lui la sous-intrigue du séisme — car c’était pour cela que la politicienne était là à la base, ou du moins ça et détourner les cyantifiques de la rencontre avec un chat que plus personne ne cherchait — reprendre son cours normal.

« Désolé, j’ai dû gérer un problème dans le garage, s’excusa le géologue une fois arrivé à quelques mètres d’eux. Vous avez un nouveau turbulent. »

Il jeta un regard en coin à Wilkins, peut-être par association d’idées, ou simplement pour essayer de comprendre ce qu'il faisait. Celui-ci, loin d’avoir retrouvé son excitation en même temps que son collègue, s’était plongé avec d’autant plus intensité dans sa contemplation des feuilles de turboisier. En fait, il avait même cessé de les malaxer indifféremment pour les rapprocher de ses yeux, comme s’il y avait quelque détail nouveau qui le frappait dans ces feuilles qui, pour ce que Rosalina en voyait, étaient de simples feuilles turquoise.

« Bon, reprit Averroès, l’idée serait d’aller au fond du lac et de se faire une meilleure idée des vibrations. »

Il dégagea de ses bras la grosse boule… ou plutôt, un espèce de vase étrange renversé sur un plateau, qu’il avait emmené avec lui. Pendant qu’il se dirigeait vers le fond du lac, à supposer qu’on l’y suivait, il en expliqua brièvement le fonctionnement :

« C’est un sismoscope. Il me semble que vous n’en utilisez plus depuis longtemps sur Terre, parce que vos technologies sont beaucoup plus avancées que les nôtres. Pour faire simple, il y a de toutes petites billes qui sont très sensibles aux vibrations sur les côtés. On va le poser, puis le côté où une bille tombera en premier sera le côté d’où viennent les tremblements… À supposer que ça tremble encore. S’il ne se passe rien et qu’on ne remarque rien de particulier dans le coin, ce sera un hasard de l’Esquisse et on ne pourra pas y faire grand chose. Sinon, on essaie de tout noter et on cherche d’où ça vient. »

Sitôt arrivé au fond, il commença à longer lentement les bords du lac, qui dévoilaient un peu plus d’un mètre de terre, sous l’épaisse couche de sable qui entourait de Laboratoire. Pendant ce temps-là, Wilkins, lui, s’était levé en retard pour suivre le groupe, non sans emporter avec lui une branche qu’il avait arraché. Troublé, il semblait définitivement l’être depuis que Rosalina avait prononcé le mot…

Le sismoscope:

__–Décidément, ce Wilkins était un être bien surprenant. De prime abord une espèce de personnage de scientifique fou de dessin animé, il se révélait avoir une centaine complexité, qui attisait la curiosité et l’intérêt de Rosalina. Elle aurait presque souhaité, en fin de compte, que la conversation durât.
__–Quand Averroès s’excusa, elle balaya l’air de sa main libre.
__–« Aucun problème, mon ami. Votre collègue fut un hôte et un compagnon de conversation délicieux. J’espère que nous aurons l’occasion de nous entretenir davantage. »
__–Un nouveau turbulent, disait-il. Cette catégorie et celle des tire-au-flanc, les Dessinateurs avaient-ils autre chose. Au moins, la crevette ne sera-t-elle plus seule, pensa Rosalina.
__–Averroès présenta donc son archaïque appareil et son projet de recherche.
__–« Tout cela est tout bonnement fascinant, mais… »
__–Que fabriquait-elle là, au juste ? Ses compétences était tout à fait gâchées ; elle aurait dû être occupée à produire des bulletins de vote, conseiller Isolde, se prendre le chou avec Watt et Dalton, avoir une discussion d’adultes avec Hertz… Cela dit, après un rapide tour d’horizon des personnes qui pouvaient la remplacer, elle arriva à une conclusion bien déprimante.
__–Au moins, son petit gremlin aurait pu être amusé par le projet. Hélas, elle ne savait pas où il était passé. Il lui manquait quelque peu, ce gredin bleu.
__–« Je vous suis. Monsieur Wilkins, seriez-vous un gentleman et pourriez-vous venir tenir mon bras, pour m’assister dans la descente ? J’ai bien peur d’être plus habillée et chaussée pour les salons que pour les sites de fouilles… Et vous, monsieur Averroès, entretenez-moi de quelque chose qui m’étonne, je vous prie. Comment savez-vous l’état de nos connaissances terriennes en sismographie, si vous prétendez ne pas en être originaire ? »
__–Délicat exercice, auquel était rompue Rosalina, que de ne pas faire sonner comme un tirage de vers du nez ce qui en était bel et bien un.

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« Un gent… ? Ah… » réagit à peine Wilkins, que l’on semblait réveiller d’une nuit trop courte, avant de maladroitement chercher à comprendre de quelle façon la Dessinatrice pouvait bien vouloir qu’on lui tienne le bras.

Il finit cependant — avec plus ou moins d’indications muettes — par s’exécuter, sans abandonner pour autant son incompréhension et son air absorbé. Rosalina put ainsi poser ses élégantes chaussures sur une terre certes peu adaptée pour y parader, mais sans danger pour son équilibre. Wilkins s’éloigna alors d’elle, pour commencer à faire les cent pas dans les alentours.

Averroès, lui, s’était arrêté près d’un bord (celui qui était le plus proche du Laboratoire) et avait commencé à se baisser.

« Comme vous, j’ai posé la question » l’entretint-il.
Pendant qu’il mettait en place son petit appareil, qui devait exiger une certaine minutie à laquelle il était assez habitué pour ne pas avoir à trop y réfléchir, il développa un peu :
« On m’a dit à grands traits d’où venaient vos montagnes et vos volcans, et aussi rapidement parlé de la boule de fer chaude qui se trouverait au centre de la Terre. Plus tard, on m’a aussi expliqué le principe d’un sismographe, même si je n’ai trouvé ni plan, ni de Dessinateur qui savait m’en faire un… Enfin, en tout cas c'était suffisant pour deviner qu'on n'en est pas à ce stade avec nos outils. »

Il observa le mécanisme prêt à l’emploi, puis se retourna.

« Je vais vous demander de ne pas bouger pendant un moment. (Voyant que Wilkins continuait à marcher, il insista :) Tous les deux.
— Oh, pardon, marmonna le cyantifique étourdi en coupant son élan pour tenter de s’asseoir délicatement, sa branche toujours au centre de son attention.
— …Tout va bien, sinon ? demanda enfin son collègue.
— J’étais juste en train de me demander pourquoi les feuilles étaient troublées. » dit-il, pensif, avant d’en goûter une.

Il n’était pas difficile de lire dans le regard d’Averroès qu’il était plutôt convaincu que ce n’était pas les feuilles qui étaient troublées. C’est peut-être pourquoi il ne sembla pas insister davantage et déplaça plutôt son attention vers son jouet.

Restait à savoir si quelque chose allait se passer…

__–« Cela dit, je ne serais pas surprise qu’ici, les sismographes poussent sur les arbres. Ainsi, vous étiez en contact avec au moins un terriens s’y connaissant assez pour vous expliquer ces sujets… Par curiosité, que lui est-il arrivé ? »
__–Et une fois arrivée en bas :
__–« Merci monsieur Wilkins, vous pouvez me lâcher. Restons bien sages pendant que votre collègue travaille. »

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« Peut-être qu’ils poussent sur certains arbres, mais je ne les ai pas encore découverts. » commenta Averroès, avant de répondre plus ou moins à sa question : « J’en ai croisé des centaines — ça fait déjà quelques bicyclones. Ce qui leur est arrivé, par contre, aucune idée. »

Quand tout le monde fut calme et immobile, le cyantifique afficha un air de satisfaction et commença à fixer son dispositif, d’abord silencieusement, puis en relançant doucement la conversation :

« Cette histoire de feuille, c’est quoi, exactement ? demanda-t-il finalement à Wilkins. Avec des mots simples. »
L’intéressé sembla hésiter un peu.
« Je crois que c’est les nervures… ou la couleur, peut-être… (il fit tourner une feuille devant ses yeux) Ou la texture…
— En gros tu as remarqué qu’elles étaient différentes mais tu ne sais pas en quoi ?
— Peut-être…
— Tu peux essayer de… »

Il s’arrêta net.

Pendant quelques secondes, il resta totalement immobile.

Puis, il tourna la tête de quelques degrés, seulement pour vérifier qu’aucun de ses deux camarades de cyance ne s’agitait.

« Soit quelqu’un a encore cassé quelque chose, soit on tient notre tremblement. En tout cas ça vient du Laboratoire, leur partagea-t-il tout en remettant soigneusement en place les billes. L’un de vous peut noter ? Je vais compter. »

Wilkins commença à pâlir comme si il avait oublié qu’il détenait une feuille.

HRP:

__–« Des centaines, vraiment ? Comment vous êtes-vous retrouvés séparés ? Est-ce que cela veut dire qu’un groupe aussi organisé attend peut-être, quelque part ? »
__–Rosalina savait que la flamme de son espoir serait douchée sous la pluie de l’Esquisse, aussi elle la maintenait bien faible. Elle ne croyait-elle pas vraiment qu’une société organisée de Dessinateurs eût pu encore exister. Et puis, cyantifique comme il était, Averroès répondrait sûrement un méthodologiquement correct et tout à fait insensible « peut-être, je ne sais pas ».
__–Comme elle suivait la conversation entre lui et Wilkins, elle voulut finir la phrase du premier par un « la goûter », mais était-ce bien sage de suggérer une telle idée à cet… ce personnage ?
__–Un tremblement revint, imperceptible, sauf pour le sismoscope.
__–« Je vais le faire, ne vous embarrassez pas de cela, monsieur Wilkins. »
__–Elle ne lui aurait pas fait confiance pour tenir droit un verre d’eau, alors prendre des notes…

Résumé :

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Dans la discussion parallèle du passé :
— Je ne les ai pas tous croisés en même temps, c’était le hasard de mes voyages. Mais avant la Tempête, vous étiez très nombreux et vous aviez une ville. Elle a été détruite depuis, mais allez savoir, il y en a peut-être d’autres.

Au présent, Averroès hocha la tête et Wilkins détendit ses épaules. Puisque c’était Rosalina qui faisait tout le travail et qu’elle ne sembla pas relancer de conversation tout de suite, ils reprirent leur petite discussion :

— Donc, je disais… Déjà, tu les as vues quand pour la dernière fois de près ?
— À l’instant. (Comme pour prouver ses dires, il tendit une feuille vers son collègue qui ne le regardait pas, puis vers Rosalina à défaut)
— …Avant ça ? Et avant de les voir sur le turboisier où tu les as prises.

Sans surprise quand on connaissait ses capacités de mémorisation, Wilkins commença à hésiter.
De façon aussi soudaine que surprenante, il trouva presque aussitôt la réponse qu’il cherchait.

— C’est quand le chat m’a demandé si j’étais Averroès.
Le concerné haussa le sourcil qu’il haussait à chaque fois qu’il était témoin d’une tirade absurde.
— Pour une fois que quelqu’un avait mon nom juste, il fallait qu’il se trompe de personne… (Il se tourna à peine vers Rosalina, sans quitter son appareil des yeux) Le chat, c’est celui qui était hier à la réunion ? Il s'appelle comment déjà ?

__–… Une ville. Peut-être, dans ses ruines, trouverait-on quelque chose… Peut-être, des survivants isolés y étaient revenus et avaient rebâti la civilisation ? C’était des possibilités. Rosalina se doutait aussi que, la probabilité qu’une société fondée par des rescapés d’un apocalypse avait toutes les chances de devenir particulièrement horrible. Au moins, leur petite bande de bras cassés était relativement à l’abri du danger. Et à suivre, ces cyantifiques, il y avait peut-être une piste à explorer. C’était… peut-être bien leur meilleure chance.
__–Peut-être bien.
__–Heureusement, elle n’eut pas le temps de s’arrêter sur cette conclusion tout à fait déprimante, car la suite des observations reprenait.
__–« Madame Morgan, vous voulez dire ? »

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« Sans doute, répondit Averroès, qui ne pouvait pas vraiment lui confirmer que c’était ce qu’il voulait dire, avant de reporter à nouveau une part de son attention vers son collègue — l’autre étant sur le comptage qu’il suivait du bout des doigts. Et donc, c’était quand ?
— Le jour était levé… Watson était déjà parti récolter la serre…
— Hmm, et du coup…

Avant qu’il ne puisse poser une autre question, le tintement des billes attira leur attention.

— J’ai compté à peu près jusqu’à 200, précisa Averroès avant de se tourner vers Rosalina. La direction est la même, mais on ne peut pas forcément en dire grand chose pour l’instant, surtout si ça ne se déplace pas. Ça peut toujours être très loin.

Tout d’un coup, à côté d’eux, le regard de Wilkins s’illumina. Son esprit sembla faire quelques sauts dans le cyberespace, alors ses doigts commencèrent à gigoter et ses genoux à remuer, et que ses jambes semblèrent même sur le point de trépigner, si ce n’était pour éviter de faire trembler le sol plus que de raison.

— Sauf si…

Quand les yeux cinglants d’Averroès se posèrent alors d’un coup sur lui, Wilkins sembla hésiter.

— Tu as une théorie ? demanda-t-il en replaçant ses billes.
— Si on admet que la texture… ou la forme… ou la couleur… ou quelque chose des feuilles de turboisier a changé drastiquement, cela pourrait être le fait d’une Tempête — sauf qu’on n’en a déclenché encore aucune aujourd’hui, n’est-ce pas ? Alors c’est peut-être un changement substantiel dans la composition du sol, et comme les feuilles mangent ce qu’il y a dans le sol, enfin, pas directement, mais par exemple, c’est la pothéose qui les aide à… En tout cas on ne peut pas affirmer que les deux évènements sont liés mais si on compare tous les turboisiers autour et plus loin du Laboratoire…
— … On saura si c’est concentré autour du Labo et donc si on a des raisons de s’inquiéter. Bien vu. J’aime bien l’idée.

Il n’était pas nécessaire à Rosalina d’être une amie de longue date des cyantifiques ou une fine lectrice de l’esprit humain pour deviner que cette approbation avait fait extrêmement plaisir à Wilkins et sublimé son entrain d’une sorte de joie béate.

— Vraiment ? A…
— Par contre, le coupa Averroès, il est hors de question que tu ailles vérifier seul. Les Objets ont l’air tranquille pour l’instant, mais ça peut très vite mal tourner. Même à deux, ce serait un peu risqué d’ailleurs… Enfin, on verra quand on aura fini ici.
— Ah…

Averroès sourit. De son côté, le cyantifique changeant sembla faire de son mieux pour mobiliser le peu de patience qu’il avait pour ne pas se jeter à la poursuite de son hypothèse. Aussi son attention se reporta-t-elle naturellement sur Rosalina.

— Qu’est-ce que vous en pensez ? Est-ce que vos arbres à sismographes changent aussi de forme ? D’ailleurs, vous avez déjà vu un turboisier sortir de terre ? Vous pensez qu’ils vont s’enfuir si le sol n’est pas à leur goût ? (Il s’arrêta net) Ah, rassurez-vous, je n’ai pas oublié que vous êtes biologiste, mais votre avis est toujours pertinent, après tout vous aviez remarqué le changement aussi.

__–Rosalina essaya très fort de se concentrer sur ce que pouvaient bien raconter les deux cyantifiques. Elle avait une formation en littérature classique, économie et sciences politiques ; aussi les vraies sciences lui faisaient-elles horreur. C’était comme si quelqu’un devait absolument être présent pour assister à la scène, mais qu’elle n’était pas le personnage qui aurait été requis. Une sensation bien déplaisante.
__–Elle sourit à Wilkins.
__–« Oh, très cher, je vous l’ai pourtant dit, je ne suis pas biologiste… politologue, à la rigueur. Je ne pourrais rien dire de savant sur les arbres, à moins qu’ils s’organisent en cité. »
__–Rosalina essaya toutefois d’analyser la situation, du mieux qu’elle pouvait. Des tremblements venaient donc du laboratoire et la flore semblait altérée, ce qui pouvait être le fruit d’une tempête.
__–« Pardonnez mon inculture en météorologie esquisséenne, mais si je ne m’abuse, les tempêtes sont des événements… qui se remarquent. Or, excepté un tremblement aux frontières du perceptible et d’étranges observations sur des échantillons phylloïdes, nous n’avons remarqué, hé bien, ni vent, ni… Rosalina était si mal à l’aise à parler de cyance qu’elle en perdait son latin, la violence qui serait associée au mot de tempête. Suggéreriez-vous qu’elles puissent avoir une forme, disons, plus subtile, plus – aérienne n’est pas le mot, hm –, plus discrètes ? »
__–Quoi qu’il en était…
__–« Je pense prudent, en effet, de commencer par rapporter ces investigations à vos collègues. De mon côté, j’ai hélas des devoirs envers mon propre dème. Est-ce que vous auriez quelqu’un en tête que je pourrais vous envoyer en remplacement ? Sous réserve qu’il ne soit pas déjà occupé par quelque tâche et consente à vous prêter main-forte. Sinon, je vous enverrai le premier que je trouverai. »
__–Quoi qu’il en était…Elle tendit son bras à l’attention de Wilkins.
__–« Si vous voulez bien m’aider, comme à l’aller. »

Rosalina a du mal à en avoir quelque chose à carrer, aussi décide qu’elle ferait mieux d’être ailleurs et propose à tout le monde de rentrer partager les découvertes.

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À la découverte du mot “politologue”, Wilkins tourna la tête tel un chaton incapable de comprendre ce qu’un humain essaie de lui expliquer mais néanmoins curieux. Quand la discussion vira aux Tempêtes, il sembla cependant un peu plus dans son élément.

« Oh… Eh bien… En soi… Les Tempêtes sont multidimensionnelles, elles ont des coordonnées, une vitesse, une accélération, une amplitude, un gradient d’agitation,… (il perdit le fil de son énumération) Toutes sortes de paramètres, vous voyez. Il pourrait y en avoir une toute petite sur votre tête, ou une grande qui commence juste sous vos pieds que vous ne la sentiriez pas. Au contraire, si la Tempête est énorme comme celle de 7-5, vous êtes dans sa zone d’influence avant même de la voir…
— C’est possible, oui, mais rare, et à mon avis pas ce qu’on a ici, ajouta Averroès. Ou si c’est une Tempête, elle est venue avant et a laissé un cadeau derrière elle. »

Il parut hésiter à développer, puis pondéra les suggestions de Rosalina. Pendant que Wilkins s’était maladroitement relevé pour l’aider, il répondit à son autre question :

« C’est gentil, mais si vous avez à faire, on peut se débrouiller pour finir. À la limite, si vous avez quelqu’un qui sait se débrouiller avec les Objets, ça m’arrangerait qu’on soit plus que deux pour aller vérifier les idées de Wilkins — question de prudence. Par contre… »
Il sortit sa canette.
« Attrapez. (Il la lança, puis quand Rosalina réussit à la récupérer, il s'expliqua :) Dans le meilleur des cas, c’est une broutille. Dans le pire, par contre, c’est un effondrement imminent ou une bestiole qui grouille dans le sol, et dans ce cas c’est tout le monde dans le camion. Si je n’ai pas à vous courir après, on gagnera un peu de temps. »

Juste avant de laisser la Dessinatrice, retourner à son rôle de présidente par interim, il lui prodigua un conseil indispensable :

« Ah, et, évitez de la paumer ou de dire trop de trucs inutiles dedans, sinon je vais me faire incendier. »

Wilkins détourna le regard.

__–Rosalina aurait aimé, en cet instant plutôt qu’en tous les autres, être venue à l’Esquisse altérée ; plus précisément avec autant d’yeux qu’elle aurait eu de sourcils à hausser sur ce qu’elle venait d’entendre en un si court échange.
__–Elle se massa les tempes.
__–« Si par « se débrouiller » vous voulez dire « en tuer », je vois bien qui je pourrai vous dépêcher, oui. Au vu de la situation, je préfère mettre tout le monde en alerte. Si nos secondes deviennent comptées, nous ferions mieux de prendre toute la maigre avance dont nous disposons. Et merci pour votre… cannette…? Qu’est-ce… Oh. »
__–La mention de babillages extensifs qui seraient dispensés à l’intérieur lui fit comprendre.
__–« Merci. Monsieur Wilkins, ayez la gentillesse de m’aider à remonter. »
__–Elle raviva l’attention de celui-ci sur son bras. Arrivée imminente d’un ver des sables ou pas (may His passage cleanse the world), il fallait maintenir les convenances.

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« En tuer, ou les voir de loin et rentrer assez vite » avait interrompu Averroès, avant de hocher la tête à l’écoute reste de sa réponse.

Wilkins, de son côté, sembla toujours se demander pourquoi diable Rosalina avait besoin de lui au lieu de simplement enlever ses chaussures, ou peut-être de se demander si c’était là le résultat d’une déformation naturelle de son pied, ou simplement se perdre dans une réflexion qui n’avait strictement rien à voir avec cette problématique. En tout cas il s’exécuta et accompagna donc la représentante malgré elle des Dessinateurs jusqu’au sommet… Enfin, jusqu’à la surface.

« Bon courage, du coup, salua le géologue de loin.
— Ah, vous partez ? demanda Wilkins avec un air surpris, avant de se retrouver un peu d’ordre dans vos idées, d’hésiter, puis de soupirer : Je voulais vous donner quelque chose, mais je ne sais plus où j’ai mis mon jus de betterave…

Rosalina n’avait plus qu’à s’enfuir avant de se voir confier une quête plus vaine encore que tous ses efforts de diversion….
Enfin, avait-ce bien été si inutile ? Ou avait-elle finalement plus que rentabilisé cette petite scène ?

__–Rosalina fit un petit coucou de la main à Averroès.
__–« Merci, à vous également. »
__–Puis elle répondit à Wilkins, non sans bien détacher les syllabes, comme on s’exprime devant un enfant un peu limité :
__–« Mais enfin, monsieur Wilkins, n’avez-vous pas entendu votre collègue ? Il faut que j’aille chercher un de mes alliés pour aider monsieur Averroès. Et puis, votre attention me touche, peut-être si vous retrouvez ce présent, vous pourrez me le donner quand nous nous recroiserons. Quoi qu’il en soit, merci de m’avoir emmené, chassez bien vite cet air tristoune de votre visage et soyez sage ! »
__–Puis elle se retourna et alla , non sans soupirer un grand coup, une fois qu’elle fût sûre que personne ne pouvait l’entendre.

Rosa se taille.