Recueil de souvenirs entremêlés
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Mar 24 Fév - 12:52
Recueil de souvenirs
Ce sujet est, comme son titre l'indique, un recueil. Et, plus précisément, de souvenirs entremêlés, c'est-à-dire que j'y posterai toutes sortes de scènes du passé de tous mes personnages, lorsque j'aurai le temps et l'inspiration. Prêt à plonger dans les vies d'Eelis, Ambros, Al, Iris et Thalès, ou à découvrir plus en détail les vies de Trenca ?
C'est tout à la suite, et vous pourrez aussi retrouver mes interventions dans la Mosaïque dans ce premier post. ♥
Note : Pour que ça ne soit pas trop le bordel, si quelqu'un souhaite commenter mes écrits, il suffira de me le demander pour que j'ouvre un second sujet dédié !
Tessons de Mosaïque
Eelis
- #1 ♦ Eelis:
- Quelle horreur de se souvenir. Quelle horreur d'imaginer ce monde où le ciel est bleu et où l'ordre règne. Quelle horreur de se dire que l'on préfère la situation telle qu'elle est, dans le rose et l'anarchie.
Eelis est né lorsqu'Eelis lui-même s'ennuyait. Il ne comptait à ce moment-là plus les jours qui s'étaient déroulés, mais plutôt ceux qui restaient à passer dans la solitude. Quelques bouquins empilés à côté de lui, un plafond trop bas, un évier qui parait toujours sale peu importe le nombre de fois qu'on essaie de le nettoyer et surtout ce lit détestable dans lequel il n'aurait presque pas conseillé à son pire ennemi. L'homme d'âge avancé en a assez, de cette pièce qui l'étouffe toujours un peu plus.
Eelis est né lorsqu'Eelis lui-même voulait voyager. Une feuille, un stylo, de bonnes idées ; même la première andouille peut écrire tout ce qu'elle veut avec ça, et ce malgré un style des plus ignobles. Dans les fautes et les lettres pointues est né un finlandais un peu volage, un peu niais, très stupide. Un homme qui est allé au bout du monde pour rencontrer des gens sans s'enchaîner nulle part, et qui continuera à le faire dans l'Esquisse.
Qui n'a jamais souhaité être son contraire ?
Ambros
- #1 ♦ Démonstration:
- Jusqu’au moment où elle grandit, Dalia ressemblait parfaitement à son frère. Les mêmes traits un peu mous, le même air ahuri qui ne présageait rien de bon quant à la résolution d’une situation problématique, le même manque d’imagination, la même démarche un peu maladroite. À quatre ans, la petite avait déjà cassé son premier verre et marché sur plusieurs queues de chat endormi ; elle n’avait plus rien à prouver aux yeux d’un voisinage qui s’était déjà habitué à cette famille un peu à part. Peu investi dans ses études, le frangin de neuf ans passait à vrai dire son temps à lui apprendre tout ce qu’il savait – ce qui, pour les médisants, tenait sur l’espace d’une feuille A5 – et à l’emmener dans tous les coins oubliés du village.
Ce jour-là, il avait décidé de lui montrer quelque chose d’absolument génial. Trois pâtés de maison à côté de chez eux se trouvait une sorte de grande cabane, vieille bâtisse délabrée qui n’était plus habitée depuis des lustres et dont la rénovation n’était plus au programme. Chaque gamin du quartier la connaissait pour être un lieu de toutes les escalades, un paradis pour celui qui voulait grimper de poutre en poutre ou faire ses preuves auprès d’une bande. Ici, la bande, c’était la dernière personne qui ne prenait pas Omar – tel qu’il se nommait, à l’époque – pour l’idiot du village. Dalia s’égayait à l’idée d’échapper une fois de plus au triste après-midi que lui promettait le domicile familial, elle était loin de toute appréhension. Loin d’imaginer ce qui allait se passer.
« R’garde, je vais aller jusqu’en haut. » promit-il en désignant le deuxième étage, tandis qu’ils étaient sur le point d’entrer à l’intérieur de la cabane. « Reste ici et regarde. »
Ses mains moites se frottèrent, il était prêt à montrer à quel point il était un super frère. Fier comme si tout le quartier était prêt à le regarder exécuter sa performance et applaudir à la fin de son exploit. Il escalada d’abord une vieille étagère sous les encouragements de Dalia, avant de se hisser péniblement jusqu’à l’étage supérieur. Jusque-là, n’importe qui d’assez bête pour s’y risquer y parvenait, mais il pouvait se vanter d’y être arrivé plutôt vite (il s’était entraîné pour l’occasion). Il fit un signe de main à sa spectatrice qui lui répondit aussitôt par une exclamation enjouée.
La montée continua avec un peu plus de challenge ; au premier, il fallait en effet user de la fameuse échelle cassée que tous redoutaient en raison de ses aléas. La légende voulait qu’à chaque gamin qui se présentait pour l’escalader, l’un des bois – on ne savait jamais lequel – cédait et provoquait parfois la chute violente de son grimpeur. Là encore, Omar savait qu’il allait se faire avoir par l’étrange magie qui régissait sa malchance, alors il avait demandé conseil à son ami qui lui avait préparé, après une laborieuse matinée de travail, une échelle de rechange qui permettait de tricher. Il attrapa celle-ci et la plaqua au mur à côté de celle qui devait initialement servir, avant de se rendre sans problème jusqu’au second étage. Dont la particularité était qu’il était plongé dans la pénombre, à peine éclairée par une minuscule fenêtre où les vainqueurs avaient pour habitude de passer leur main. C’était une manière de montrer patte blanche et d’affirmer sa suprématie.
« Dalia, ça y est, regarde la fenêtre ! » cria-t-il à l’intention de sa sœur avant d’engouffrer son bras dans l’ouverture triomphale. Il y resta là quelques secondes, repensant encore à la façon astucieuse dont il avait dévié l’obstacle et à son intrépide escalade.
En contrebas, là où devrait normalement se situer son public, des rires masculins retentirent.
« Tu vois, je savais qu’il le f’rait.
- T’avais raison, il y est vraiment !
- On lui a pas prêté l’échelle pour rien... »
Surpris que d’autres enfants aient eu vent de sa démonstration de force, il voulut retirer son bras de la fameuse fenêtre de la victoire. Il y était sacrément encastré, sans comprendre pourquoi soudainement il peinait. Dehors, il sentit alors quelque chose l’effleurer, puis une douleur vive s’emparer de son doigt à mesure qu’il gigotait.
« Aaah ! Regarde ! Des abeilles sortent de la ruche ! s’exclama un gamin avant d’émettre un gloussement sonore.
- Woaw !
- C’est normal qu’il reste là ?
- Il doit pas avoir remarqué, j’pense.
- C’est possible, il a même pas vu la ruche en arrivant. Ça fait trois jours qu’elle y est ! »
De moins en moins rassuré, il employa maladroitement toutes ses forces à se tirer de là pour faire marche arrière et quitter définitivement la cabane en emportant Dalia. Il s’écorcha à plusieurs parties du bras avant de finalement y parvenir, emportant avec lui les deux abeilles qui s’étaient déjà posées sur sa peau. Son geste avait fait trembler l’édifice et d’autant plus attisé la colère des insectes qui peu à peu s’engouffraient à l’intérieur de la fenêtre de la victoire. Il courut, revint à l’échelle ; celle qui lui avait été généreusement prêtée était mystérieusement tombée à la renverse, ne laissant pour s’échapper que les fameux bois maudit. Il posa son pied au hasard afin d’entamer la déscente, toujours poursuivi par quelques ennemis à dard, mais se retrouva bien vite déséquilibré sous le coup de la panique. Il chuta, s’érafla, manqua de se tordre une cheville dans l’échelle et atterrit finalement dos au plancher.
À côté de lui, deux mômes ricanaient, l’un étant celui qui avait si généreusement fait don de l’échelle. À la vue des insectes, ils décampèrent cependant bien vite, laissant Omar se dire qu’il y arriverait bien tout seul. En bas, Dalia ne paraissait pas réagir, les autres ayant dû l’embarquer au passage pour lui proposer de jouer à la marelle sur la place du village ou d’aller goûter chez tous ensemble.
Cette fois, il n’était pas convié.
- #2 ♦ École:
- « Il murmurait mon nom. Comme ça, "Mariaaa", avec ses yeux incroyablement grands, beaux, et…
- Hiiiii ! Il est tellement canon !
- Teeeellement ! Tu as de la chance ! »
« Dans le texte, on peut observer une nette mise en avant du champ lexical de la forêt. Par exemple, ici "Les feuilles du chêne frémissaient au-dessus du sentier".... »
L'avantage énorme d'être reclus au fond de la classe, c'est de pouvoir choisir les conversations que l'on suit. Devant, le professeur parlait d'un texte passionnant pour les trois premiers rangs, tandis qu'à la gauche d'Omar se tenaient trois jeunes filles en fleurs qui passaient la journée à se raconter leur trépidante vie. À cette époque, il avait encore ses deux oreilles, il était plus aisé de s'amuser à jongler entre les fréquences comme on zapperait indéfiniment sur une télévision. Hélas, ce jour-là, la pêche n'était pas fructueuse, il n'avait pas beaucoup de choix.
« Ce soir, je vais le retrouver après les cours. Je suis restée super tard hier pour lui préparer des chocolats..
- Hiiiii ! Tellement romantique !
- Teeeeellement ! J'aimerais être à ta place ! »
« Pour la question 4, vous écrirez que la phrase employée par le narrateur renvoie à la ligne 2, au moment où Giovanni passe devant la cabane… »
Pour être honnête, même lui s'ennuyait. D'un côté, il était irrité par les crissements suraigus qui venaient de ses camarades, et de l'autre il ne comprenait rien. Il avait d'abord pensé que c'était une bonne idée de se caler tout au fond, personne n'aurait l'idée de l'interroger sur ce qu'il ignorait totalement - bien que l'immense majorité des professeurs ait totalement abandonné l'idée de lui faire retenir quelque chose - ou de le réveiller s'il finissait sa nuit. Hélas, tous ceux qui aimaient jouer aux cartes ou discuter avaient eu la même idée que lui, ce qui l'avait d'autant plus aidé à décroché.
Une boulette de papier ricocha contre son crâne. Il la regarda s'écraser juste à côté de son pied, dans l'indifférence générale. C'était sûrement deux garçons qui s'amusaient à se lancer tout et n'importe quoi sans tenir compte des obstacles, il s'était déjà reçu des gommes et même un crayon sans réagir. Parce que, comme tout le monde le disait, ça ne heurtait pas grand chose sauf un grand vide qui se débrouillait pour ne jamais avoir la moyenne. Et il approuvait de par sa simple attitude de légume.
« Maintenant que nous avons fini d'étudier ce texte, on va faire une petite discussion ! Qu'est-ce que vous en avez pensé ? »
Il regarda brièvement l'avant de la classe pour tenter de comprendre ce qu'il se passait. C'était le regard de trop, les enseignants ont toujours une vision de faucon.
« Tiens, Omar a l'air motivé pour nous faire partager ses impressions. C'est bien de participer ! Alors ?
- … »
Il jeta un coup d'oeil au fameux texte. Plein de lignes qui s'entremêlaient. Qu'est-ce qu'il en pensait ? Absolument rien, puisqu'il n'avait jamais lu une seule phrase, pensant que la partie était perdue d'avance. Devant, les autres élèves s'étaient retournés pour voir ce que le cancre de service allait bien pouvoir sortir. La réponse n'était pas sur leur front, ni dans leurs yeux. Ni sur le sourire figé du professeur, qui pensait être en phase de réussir un exploit extraordinaire. À 23 ans, nul doute qu'il n'aurait pas cherché très longtemps avant de répondre la première chose qui lui passait par la tête, mais il en était autrement à neuf. Surtout lorsqu'il était entouré d'une foule qui se préparait à rire pour chaque mot prononcé.
Là, actuellement, il avait peur. Il voulait se raccrocher à la fréquence des filles, se rassurer avec leur conversation invariante, mais celles-ci s'étaient tues pour assister au spectacle. Il attendit une éternité avant d'être sauvé. Totalement immobile.
« Bon, c'est pas grave, demandons plutôt à la voisine ! Alors, les aventures de Giovanni ?
- Y'a pas assez d'action, mais c'est sympa... »
Les yeux rivés sur son cahier de cours en grande partie vide, il souffla. Et le cours reprit son déroulement normal.
« Et donc, hier, dans l'épisode de Winx, vous avez vu Stella ?
- Tellement belle !
- Ouaiiis, j'aimerais être une fée aussi ! »
« C'est bientôt l'heure de manger. En attendant, n'oubliez pas le contrôle de demain ! Ce sera une dictée. »
Il laissa tomber ses affaires dans son cartable et avança nonchalament vers la sortie de la salle, le souvenir des récents évènements s'évaporant aussitôt pour penser à des choses plus réjouissantes. Pourquoi s'inquiéter, quand on pouvait manger ?
- #3 ♦ Travail:
- N’échappe pas à la bêtise qui veut. C’était un peu sa devise, avant comme après le passage dans l’Esquisse. Seul ou à plusieurs, il le faisait rarement exprès mais il fallait après tout avouer que le résultat était toujours aussi surprenant que consternant. S’il était chef d’orchestre, chaque doigt ajouté, chaque note jouée serait une catastrophe du quotidien.
Alors quand il était devenu serveur dans un restaurant, le village avait explosé dans un fou rire qui avait résonné aussi fort qu’un concert. Curieux, les copains d’enfance étaient venus voir ce qu’était devenu le gamin pas doué pour un sou qui avait amusé la galerie pendant quelques années avant de quitter les bancs de l’école. Affolés, les voisins regardaient d’un œil perplexe la nouvelle qui se répandait aussi vite que toute rumeur dégradante, espérant que les dégâts ne ricocheraient pas jusqu’à leur demeure. Les plus amusés étaient sans aucun doute les concurrents, qui voyaient déjà les assiettes filer telles de frisbees et les couteaux plantés dans la cuisse d’un client malchanceux. Personne n’avait songé à le féliciter pour cette légère progression, sauf le père devenu alcoolique depuis le temps. Un père qui traînait entre autres la réputation de raconter tout le temps n’importe quoi et de partir à la pêche chaque matin sans rien ramener à manger – encore un être utile à la société dont on ne vantait pas la capacité intellectuelle.
Sauf qu’Omar avait les oreilles bouchées, et qu’il était venu quand même dès le premier jour. Le sourire poussé jusqu’aux limites des possibilités humaines, avec sa chemise super-chouette que sa mère avait doublement repassé pour l’occasion. Il avait passé ces deux dernières années à s’entraîner comme il le pouvait ; on lui disait dans la famille que personne ne faisait briller la petite casserole mieux que lui. Il ne demandait rien d’autre que de se rendre utile auprès des gens qui le supportaient, aussi avait-il attendu ce jour-là avec une grande impatience. Il avait même noté le menu sur sa main pour pouvoir l’apprendre par cœur, avec des petits dessins qui faisaient ressembler l’ensemble à une sorte de peinture rupestre. Sans doute avait-on vu plus élaboré chez les hommes des cavernes.
Sa génitrice aux poignets épais et au visage disgracieux l’attendait en cuisine pour les derniers préparatifs. Angoissant pour deux, elle fit promettre à Omar de regarder où il marchait, surtout lorsqu’il tenait quelque chose entre ses deux mains, et de laisser Roberta – sa nouvelle collègue de travail qui ne lui adressait jamais la parole quand bien même elle trimait pour la maison depuis plusieurs années – s’occuper des clients qu’il connaissait. Elle avait le sentiment que quelque chose allait mal tourner, dommage que cette prudence ne se soit pas transmis via la beauté de la génétique.
Surtout quand ce sentiment devenait le plus souvent prémonitoire. Elle soupira en voyant sa progéniture se rendre en salle avec l’attitude d’une fashion victim aux soldes. Sitôt qu’elle fut retournée, elle entendit un vacarme assourdissant. Son espérance s’écrasa à plat ventre.
Al
- #1 ♦ Famille:
Autant dire que ces deux jours ne furent pas de tous repos.
Tel l'alignement des planètes, il s'était produit ce jour-là un phénomène qui ne pouvait être aperçu qu'une fois toutes les trois générations. Si ce n'était encore plus rarement. Un week-end banal en apparence, déjà saupoudré par le nombreux devoirs en retard que Al s'était enfin décidé à terminer - il aimait les mathématiques pour son bon plaisir et travaillait selon les variations de sa motivation - et la présence dans son frère. En soi, Bart n'était pas encombrant tant qu'il y avait une console de jeux vidéos à proximité, il ne venait que pour squatter la console et glander devant la télé. Le truc, c'était que la console avait été prêtée à un ami et que la télé connaissait quelques dysfonctionnements, alors c'était bien volontiers que ledit frère avait été corrompu par le second élément encombrant de ce week-end fastidieux, pour ne pas nommer la cousine. Elle, par contre, était du genre à squatter de temps en temps pour le plaisir de s'étaler lorsqu'elle n'avait rien à faire. Or, elle avait rarement grand chose à faire, en élève assidue qu'elle était, et employait plutôt son imagination à créer des origamis avec les polycopiés importants d'Al, apprenant au frangin à faire autant. Ceci tout en étant avachie sur un fauteuil, jambes à l'air, avec cinq crayon de couleur dans entre les orteils. Travail d'arts plastiques improvisé.
Le soucis, c'était qu'Amy n'avait pas de cours d'arts plastiques. Elle se disait autodidacte, mais c'était clairement plus une bonne excuse pour foutre le bordel.
« Les filles sont multitâches, tu vois ... Oh ! C'est ton nouveau rapporteur ? Tu lui as donné un nom craignos, j'espère ? »
Al se mordit une lèvre. Comment bosser avec une telle plaie ?
« Dis, dis, dis, dis, dis. »
Il arracha des mains de Bart son cours de physique. Le fourbe avait profité de la diversion, et son mentor esquissait un sourire des plus vicieux.
« Laissez-moi bosser, j'essaie d'être sérieux.
- Allez, soyons sérieux. Je vais te montrer un truc physiquement impressionnant. »
Amy s'empara de la feuille, la contorsionna étrangement et la jeta dans l'espace de la pièce, le tout avec une vitesse impressionnante qui, hélas, témoignait de son expérience en la matière. Le pire, c'était qu'Al se laissait toujours prendre au jeu implicite qu'était celui de deviner où allait atterir la feuille.
Et pour le coup, la trajectoire était la porte.
La porte tout justement en train de s'ouvrir sur un visage un peu trop connu, dont la main eut tout juste le temps d'attraper le papier.
« Ça fait des expériences par ici ! Heureusement que je suis là. »
La dernière planète venait de s'aligner. Ayant éloigné tout élément dangereux de la table (c'est-à-dire Roxie et les autres instruments de géométrie), il dégaina une vieille pochette d'école secondaire qu'il étala sur la table.
Pour votre santé, pratiquer une activité physique régulière.
- #2 ♦ Cuisine:
- « Pour cette fois, t'es épargnée.
- Oh merci de votre clémence, grand Al ! » répondit en flèche la charmante personne qui venait d'entrer dans la cuisine.
Même alors qu'elle n'avait que huit ans, Amy avait un problème avec l'autorité - elle aurait sans doute apprécié une petite visite à Flen - et surtout avec l'autorité de son cousin. La différence d'âge aidait à cela ; elle avait un an de plus et cela se voyait de façon évidente. C'était pourtant toujours à Al que l'on demandait de surveiller son aînée lorsque tout le monde était parti "faire des trucs de grands" (= se saoûler dans un bar et se ramener à trois heures du matin, mais Al croyait naïvement qu'ils étudiaient l'astronomie tous ensemble) et que son grand-frère désertait le champ de bataille pour "réviser" avec ses copains. Bart avait le don de toujours trouver les meilleures fréquentations, alors le monde - sauf les parents - se doutait bien qu'il ne sacrifierait pas une soirée pour une si fastidieuse tâche.
Et du coup, il se retrouvait seul avec une cousine totalement ingérable accompagnée de sa petite soeur Faith, qui du haut de ses quatre ans voulait devenir pâtissière. C'était elle qu'Al venait d'épargner, après avoir vu trois pauvres oeufs et leur coquille agoniser dans un saladier, avec la moitié du sachet de farine et.. ciel... pourquoi un broccoli ?
« Papa iya dit que shétait diétaitish.
- Mais t'es complètement tar...
- T'inquiète pas, Faith, c'est super. Ton cousin a-do-re ! »
Il la fusilla du regard. Il ne fallait pas encourager cette gamine à vider les placards pour faire son.. euh.. gâteau "diétaitish", qui ressemblait davantage à un gloubiboulga des plus infâmes. La petite avait préparé tout un tas de choses à ajouter à la préparation et, non, décidément, elle avait trop d'idées pour son âge. Le truc, c'était qu'Amy l'encourageait à exprimer son potentiel artistique avec beaucoup trop de dommages collatéraux, et qu'elle ne laisserait jamais sa petite soeur pleurer parce qu'elle ne pouvait pas cuisiner.
« Bon. J'ai pas l'choix. Virez-moi ça, on va faire un vrai gâteau diétaitish qui tuera personne.
- Ouiiiiish !
- Oh, et tu connais la recette, Gordon Ramsay ?
- J'ai vu maman faire. Et on a un livre.
- Ce livre... »
Pour une raison inconnue, Amy eut un déglutissement d'appréhension. Al s'était déjà précipité sur le bouquin intitulé "Cuisine à l'anglaise" qu'il ouvrit jusqu'à trouver quelque chose qui ressemblait au gâteau souhaitait. Enfin, surtout, qui était facile, avait une géométrie parfaite et plaisait à Faith. Cette dernière mit sa main sur un bon vieux cake au chocolat qui avait réveillé ses instincts d'enfant. Al ne fit pas remarquer qu'il y avait difficilement moins diététique. Car c'était faux, au vu des recettes de gâteau au carambar qui traînaient dans un autre livre trop haut perché pour être consulté.
Les trois cuisiniers improvisés empoignèrent chacun un des ingrédients de façon plus hasardeuse, sous les ordres aboyés par Al et sitôt contestés par Amy, qui malheureusement pour le trio était la seule à savoir cuisiner sans en foutre la moitié par terre. Extraits de la séance épique :
« Quand tu casses un oeuf, tu dois le cogner contre le bord, ça sert à rien d'prendre un compas et de..
- J'fais c'que je veux, c'est plus pratique !
- Mais ça sert à rien !
- Si ça sert !
- Chouisiiiiine...
- Ça sert à rien je te d... Faith, tu fais quoi avec le couteau ?
- Pff. Surveille ta soeur au lieu de contester !
- Et toi surveille tes mains.
- Quoi ? ... Oups.
- Le sol va sûrement se régaler avec ce jaune d'oeuf...
- C'est pas drôle, Maman va me tuer !
- Hihihi.
- Pfff. Bon, tu sais quoi, on va...
- Hm ?
- Llll.. les.... chhbzz.... chips....
- Oooh, pas mal Faith !!
- Je vais tuer ta soeur !
- Au secours, il s'énerve ! Prévenez un prof de maths !
- Et toi après !
- Ahahah ! »
Et ainsi, pendant que Faith continuait à créer des absurdités alimentaires, les deux cousins se couraient après dans la cuisine en trébuchant sur l'oeuf renversé par terre. Techniquement, Al n'en venait au main que rarement, mais à cet âge-là il était facile à énerver lorsque l'on touchait à ce qu'il avait prévu de manger tranquillement devant la télé plus tard. Ou tout ce qui lui appartenait, plus généralement. Cela se transformait alors en guerre des guilis, à celui qui parvenait en premier à faire s'écrouler par terre son adversaire.
Le fou rire était tel qu'ils en oublièrent l'essentiel. Jusqu'à ce que le gong retentisse.
« Chai finish !
- Bravo frangine !
- Mince... on met pas ça au four.
- Bien sûr que si ! On s'est donné tant de mal.. »
Elle chuchota un léger « Il rebondira mieux sur le balcon du voisin après » à l'oreille de son cousin. Non, bien sûr, personne n'avait l'intention de passer à la dégustation, et Al approuvait totalement cette expérience de lancer de poids. Personne n'aimait Logan, le vieux papy qui vivait en bas, il trucidait auditivement tout l'immeuble avec ses solos de saxophone, alors on s'armait pour le distraire en cas de symphonie.
Après avoir sacrifié un vieux moule, on glissa la mixture dans le four. Le résultat promettait d'être la 8ème merveille du monde.
- #3 ♦ Mathématiques:
- « Il est complètement fou.
- Bien d’accord…
- Il veut faire le malin ?
- Même un masochiste dépressif et suicidaire ne lèverait pas la main. »
Le doigt pointé vers le plafond, le bras aussi droit qu’un lampadaire et le regard d’un cowboy concentré, Al fixait avec audace la face de Mr Garny, professeur de mathématiques réputé pour avoir fait trembler des contingents d’élèves entiers. Dix ans que le problème paraissait devant chaque classe, en début d’année, tel une guillotine inévitable ; dix ans que personne n’avait réussi à trouver la solution. Dix ans de mystère contés dans toutes les soirées Halloween qui se retrouvaient en ce jour défié par un gringalet binoclard.
« Il va peut-être faire une blague.
- Tu l’as déjà vu avoir de l’humour ? Il passe plus de temps à cracher sur les gens qu’à faire ses exercices.
- Alors peut-être… l’infirmerie ? Il fait chaud dans la pièce.
- Tu devais pas être là l’autre jour… il était plus pâle qu’un fantôme, mais y s’est levé quand même pour venir en cours. Enfin, il n’est allé qu’en maths.
- Alors c’est un fou.
- Bien d’accord… »
Le visage de Mr Garny esquissa un rictus satisfait. Après avoir fait taire les éternels parleurs du fond de la classe, il tendit solennellement la craie à son élève. Dès lors il devint comme tous les autres, un spectateur en attente. Conscient qu’il avait un poids aussi lourd que le destin du monde sur ses frêles épaules, l’adolescent se leva lentement, puis avança tout aussi lentement jusqu’au tableau noir dont les dorures auraient fait pâlir plus d’un rigolo. Al n’était pas un rigolo. Non.
Plutôt un illustre pianiste sur le point de jouer sa partition, à coups de traits blancs effrénés. Cette équation compliquée, il allait la vaincre, il allait la dompter puis la chevaucher devant l’assemblée, sous le regard ébahi de son public. Lancée dans une simple discussion deux ans auparavant, la bête n’avait cessé de hanter le jeune ado qu’il était, allant jusqu’à crier qu’on la résolve. Ce dragon algébrique déployait désormais ses ailes devant lui, prêt à souffler, prêt à le repousser, mais Al n’avait plus la moindre crainte. Serein, et à mesure qu’il écrivait sans expliquer ses calculs – s’ils n’étaient pas capables de comprendre une résolution aussi simple, il ne pouvait rien pour eux ! –, il s’approchait tout doucement de l’encolure. Une crinière flamboyante portée par le signe égal, et qu’il domina, s’appropria sauvagement, avant de sauter précipitamment sur son ennemi.
Il y était. Enfin.
Le résultat était sous ses yeux, la phrase de conclusion parfaitement bâclée aussi. Le dompteur en transpirait presque, tant il avait puisé dans ses forces vitales pour venir à bout de ce monstre merveilleux.
« Hum…. »
Les sourcils de Mr Garny sautillaient, se joignaient et se disjoignaient ; c’était ainsi que l’humble professeur de mathématiques réfléchissait. Pas un instant Al ne paniqua sur un quelconque oubli qu’il aurait pu faire, un signe qui aurait manqué ou une solution qui serait passée à la trappe. Il avait gagné, il avait capturé le pokémon shiney, dérobé le Saint Graal !
« Cela me semble juste. »
Aux anges, Al aurait presque pu sauter dans les bras de son professeur pour le remercier, ou même effectuer une petite révérence qui conclurait sa prestation. Il n’en fit rien et, après un petit regard hautain sur ses camarades – qui à vrai dire avaient depuis longtemps cessé de prêter attention au devant de la classe –, rejoignit dignement sa place au premier rang.
Mais les sourcils de Mr Garny n’avaient pas fini d’osciller.
« Cependant, voulez-vous bien revenir pour expliquer tout ceci à vos camarades ? Une correction n’est intéressante que si tous arrivent à la comprendre. »
Al lacéra brutalement sa gomme. Combien de temps allait-il bien perdre avec tous ces ignorants ? De chasseur de dragons, il était passé à animateur de centre équestre qui devait faire trotter des pouilleux sur un pégase. Il soupira profondément et obtempéra, ne désirant pas non plus qu’un autre ose résoudre l’énigme à sa place.
Il fit une dernière vérification des effectifs. Oh, que son public était attentif, comme toujours… Il constata pourtant que juste devant lui, une oreille l’écoutait attentivement. C’était ce jour-là qu’ils s’étaient rencontrés, eux les deux matheux.
Eux les deux meilleurs amis.
- #4 ♦ Note:
- Elle tomba. Comme une guillotine. Comme le verdict d’un procès sur lequel personne n’était d’accord. Comme une annonce de décès soudaine et brusque après une soirée arrosée. Comme une nouvelle guerre mondiale. Comme… Bref, tout lecteur aura compris qu’il venait de se passer quelque chose d’affreux. Cette ignominie qui provoquait la contraction des deux poignets d’Al n’était ni plus ni moins que…
« J’ai eu une meilleure note que toi ! Ahahahah ! Hé, regarde, elle est belle cette copie ! »
La première victoire de cet abruti. Qui était à deux doigts de courir tout autour de son camarade de classe en agitant sa feuille dans tous les sens. En soi, il l’avait sans doute mérité, il était plus intelligent et bosseur lorsque le chapitre lui plaisait, mais « raaah ». La simple idée d’avoir perdu dans la seule matière où il pouvait se vanter d’être bon lui donnait un amer sentiment d’être tombé du haut d’une falaise. Perdant toute sa fierté ainsi que l’estime du corps enseignant, de ses amis et de sa famille, il serait contraint d’aller s’isoler dans les montagnes pour vivre tel un ermite se nourrissant uniquement de poils de renards et de cailloux avant de faire harakir… Al n’était pas le genre d’être que l’on pouvait rationner avec des phrases aussi bateau et fausses que « Ce ne sont que des maths, voyons ! », parce que c’était justement les maths. La science suprême. Le pilier de sa fierté. Pourtant…
« Passe-moi cette feuille.
- Si tu me la déchires, je ne vais pas pouvoir l’encadrer.
- Il faudrait être stupide pour déchirer une feuille de maths.
- La tienne est méchamment fripée pourtant…
- Passe ta copie, j’ai dit. »
Malgré des réticences ouvertement marquées, celui qui avait détrôné le dompteur d’équations remit son devoir triomphal et s’assit patiemment à côté de celui-ci. Lorsque l’un d’entre eux se plongeait dans quelque chose qui lui donnait l’air de travailler, la règle était de ne pas faire de bruit. Ils n’étaient qu’au milieu de leurs années d’école secondaire, mais la première chose qui les avait réunis était l’envie de réussir. Ou du moins, pour Al, dans les matières qui l’intéressaient ; il avait abandonné pour toutes les autres. Des générations de professeurs avaient dû mourir de rire en assistant à la démonstration de son niveau en langue ou en littérature, les rares fois où l’on parvenait à le trouver dans le fin fond de la classe où il se cachait pour masquer sa présence (tel un ninja, en moins classe puisqu’il donnait plutôt l’impression de « ramasser son stylo » dès qu’on recherchait un volontaire).
« Franchement, c’était trop facile, conclut finalement le roux après un examen minutieux.
- C’est pour ça que tu as foiré. Allons tout de suite demander à Mr Garny de mettre des contrôles impossibles pour améliorer tes notes !
- Je relève le défi.
- Sérieux ? »
Après un petit blanc, qui devrait normalement précéder une réflexion pertinente, Al ne put s’empêcher de rire. Comme il ne le ferait jamais plus tard, lorsqu’il découvrirait ce monde étranger à la logique. Lorsqu’il n’aurait plus le droit d’avouer naturellement qu’il était flemmard, même lorsque cela concernait sa matière préférée.
« J’ai un jeu vidéo à finir avant… tu viens conserver ton avance ce soir ? »
À cette époque encore, les défis étaient stimulants. Ils ne donnaient pas envie de s’arracher les cheveux et de plonger la tête la première dans un aquarium à vêtements en espérant mourir le coup. Il n’en restait plus grand-chose.
- #5 ♦ Zoe:
- Nommée Zoe, la voisine de classe de deuxième année d'Al était plutôt dans le genre discrète. Des cheveux noirs courts et bouclés qui retombaient en grande partie sur ses yeux clairs, un petit nez trop arrondi qui paraissait pouvoir être pressé tel un bouton lorsqu'il n'était pas planqué dans un col ou dans un bouquin. Ses tenues toujours bien repassées. Sa posture assise si droite. Au premier rang juste à côté de lui, il ne l'avait en réalité jamais vue lever la main une seule fois pour répondre aux questions, quand bien même la réponse était écrite en lettres capitales sur son cahier. Comme beaucoup, en fait.
Mais ils ne passaient absolument pas leurs journées à se lancer des regards globuleux de temps à autre, sans bouger un seul petit doigt sauf pour écrire ce qui était au tableau. D'aussi longtemps qu'il s'en souvienne, Zoe était la première fille à l'avoir fait rougir comme une écrevisse. Il avait longuement étudié ses courbes capilaires et spéculé sur les formes géométriques qui pouvaient être formées avec tous les grains de beauté que sa voisine possédait. Sans aller jusqu'à prendre son compas pour mesurer le rayon de son visage, il savait que Zoe en avait un très rond. Comme son nez. Comme ses doigts. Comme le capuchon de son stylo à encre.
Outre sa beauté qui sans nulle doute ne défiait les lois de l'apesanteur que dans les yeux de notre matheux en puissance, Zoe avait la personnalité d'un paresseux. Souvent à regarder le vide, à ne rien faire, à écouter les gens d'une oreille une partie du temps et à être dans la lune le reste (qui a crié Dolly dans la salle ?). Ses paroles étaient des murmures que le brouhaha d'une classe avait tôt fait d'emporter ; seul le premier rang parvenait à ouïr quelque chose lorsqu'elle présentait ses exposés. Pourtant, lorsqu'il réussissait à l'entendre, le pré-adolescent qu'était Al trouvait sa camarade de classe absolument magnifique - presque autant que toutes les formes géométriques qui la constituaient. C'est en l'espionnant tout à fait discrètement qu'il apprit pourquoi elle participait si peu alors qu'elle parlait si joliment.
Et comme cela qu'il s'était mis à passer plusieurs de ses soirées au club de chorale. Si. Complètement sous le charme, il était resté un premier jour sur les bancs de la salle à faire ses exercices de mathématiques tout en écoutant les voix s'élever et répêter. À la toute fin, pourtant, elle avait trottiné jusqu'à lui. Un petit sourire sur les lèvres. Sa petite main rondelette si serrée qu'elle en froissait les feuilles.
« Heu, je.. Tu veux essayer ? Il. Reste de la place.
- Hm.... »
Hésitation. Regard tendre vers les devoirs à faire. Regard oblique vers les choristes. Pensée profonde pour sa voix de casserole usée. Retour vers ces petits yeux clairs qui le suppliaient. Quelques secondes de réflexion supplémentaire avant de se lever.
À vrai dire, il se souvenait encore du spectacle de fin d'année, à s'en demander s'il pouvait ne serait-ce que l'oublier. Ses cousines qui riaient à s'en étouffer. Son frère qui les suivait. Ses parents qui tenaient fermement la caméra en vérifiant chaque seconde qu'elle enregistrait bien. Ses camarades de classe qui lui faisaient des clins d'oeil en complimentant la performance d'un air amusé. Le club de chorale qui le félicitait. Ses cordes vocales qui souffraient. Le sourire de Zoe à la fin. Le verre d'eau qu'elle lui avait apporté.
Puis sa moue attristée lorsqu'elle lui annonça son déménagement imminent en France. Le dernier regard qu'ils échangèrent avant qu'elle ne lui dise au revoir. Le poing qu'il cogna contre le mur lorsqu'il réalisa qu'il avait oublié de lui demander son numéro. La chaise vide à côté de lui au retour des vacances. Le nouveau camarade qu'on y avait collé. Les mois sans nouvelle de Zoe.
La fin de son premier amour. Enfin. En étaient-ils vraiment arrivés jusque là ?
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Mar 24 Fév - 12:53
On commence par un vieux souvenir qui traînait depuis Novembre dans mes dossiers.
Ce jour-là, il faisait particulièrement froid. Après avoir eu grand mal à ouvrir les volets, bloqués par la neige qui avait chuté en abondance toute la nuit, elle s'était installée à la table de la cuisine avec sa tasse presque débordante de chocolat chaud. C'était Samedi, ses parents n'étaient pas là et n'avaient guère prévu leur retour avant la soirée. Jamais elle ne s'était demandée ce qu'ils faisaient, tous les deux ensemble, pendant ce temps, et pourquoi cela survenait plusieurs fois sans que plus de raisons ne soient mentionnées. On n'expliquait pas les choses à Iris, elles étaient comme ça et toute démonstration était superflue. Elle avait toujours vécue entre ces certitudes imposées et les croyances trop niaises qu'elle leur associait. Entre rêve et autorité, sans place pour la science.
Elle trempa doucement la langue dans la mixture lactée, cela faisait du bien d'être au chaud. Il fallait qu'elle se dépêche pour pouvoir travailler ensuite, relire et apprendre par coeur tous ses cours. À onze ans, déjà, ses parents étaient fiers de voir qu'elle était à la tête de sa classe dans les matières les plus littéraires. En gym, en danse, en langues aussi. Il n'y avait pour ombre au tableau que toutes ces sciences obscures qui de toute façon ne servaient à rien - on lui disait que jouer avec des triangles ne ferait plaisir à personne. Eux les adultes qui avaient toujours raison lorsqu'ils ouvraient la bouche. Elle avala proprement son chocolat, lava sa tasse et marcha jusqu'à sa chambre où l'attendait son bureau.
Neuf cahiers colorés et quatre classeurs étaient rangés de façon parfaitement rigoureuse sur l'espace de travail. Une trousse qui ne contenait que le nécessaire, des livres en cours ou à lire, des contrôles toujours signés ; on aurait pu y prendre en photo et déposer cela sur un site de vente sans que cela ne nécessite la moindre retouche, à quelques détails près. Un petit dessin, perché sur le coin d'une page de couverture, venait tâcher l'ensemble. Un ourson aux traits arrondis, au sourire ample et à l'expression niaise. Ce petit animal était le premier d'une longue série. Une série qui se poursuivait dans ce carnet recouvert rempli de dessins. Iris n'était ni très douée en la matière, ni très rapide, mais comme tout un chacun elle avait pour elle un jardin secret, avec ses trois soleils à visage humain et ses fleurs en tout sens.
Chaque page tournée lui ouvrait une porte vers l'inconnu. Un monde où tous les gens étaient contents, un autre où la guerre n'existait plus, une île isolée de tout où toute la nourriture était bonne pour la santé. Puis encore cet endroit où les animaux pouvaient parler et marcher main dans la main avec les gens, Iris avait toujours été triste de ne pas pouvoir communiquer avec tout ce qui était vivant, elle n'avait que ses camarades de classe et sa famille au milieu d'une infinité d'êtres.
Deux ans plus tard, elle franchirait une porte telle qu'elle n'en avait jamais imaginé. Un inconnu qui dépasserait toutes ses espérances...
Iris ♦ Samedi d'hiver
Ce jour-là, il faisait particulièrement froid. Après avoir eu grand mal à ouvrir les volets, bloqués par la neige qui avait chuté en abondance toute la nuit, elle s'était installée à la table de la cuisine avec sa tasse presque débordante de chocolat chaud. C'était Samedi, ses parents n'étaient pas là et n'avaient guère prévu leur retour avant la soirée. Jamais elle ne s'était demandée ce qu'ils faisaient, tous les deux ensemble, pendant ce temps, et pourquoi cela survenait plusieurs fois sans que plus de raisons ne soient mentionnées. On n'expliquait pas les choses à Iris, elles étaient comme ça et toute démonstration était superflue. Elle avait toujours vécue entre ces certitudes imposées et les croyances trop niaises qu'elle leur associait. Entre rêve et autorité, sans place pour la science.
Elle trempa doucement la langue dans la mixture lactée, cela faisait du bien d'être au chaud. Il fallait qu'elle se dépêche pour pouvoir travailler ensuite, relire et apprendre par coeur tous ses cours. À onze ans, déjà, ses parents étaient fiers de voir qu'elle était à la tête de sa classe dans les matières les plus littéraires. En gym, en danse, en langues aussi. Il n'y avait pour ombre au tableau que toutes ces sciences obscures qui de toute façon ne servaient à rien - on lui disait que jouer avec des triangles ne ferait plaisir à personne. Eux les adultes qui avaient toujours raison lorsqu'ils ouvraient la bouche. Elle avala proprement son chocolat, lava sa tasse et marcha jusqu'à sa chambre où l'attendait son bureau.
Neuf cahiers colorés et quatre classeurs étaient rangés de façon parfaitement rigoureuse sur l'espace de travail. Une trousse qui ne contenait que le nécessaire, des livres en cours ou à lire, des contrôles toujours signés ; on aurait pu y prendre en photo et déposer cela sur un site de vente sans que cela ne nécessite la moindre retouche, à quelques détails près. Un petit dessin, perché sur le coin d'une page de couverture, venait tâcher l'ensemble. Un ourson aux traits arrondis, au sourire ample et à l'expression niaise. Ce petit animal était le premier d'une longue série. Une série qui se poursuivait dans ce carnet recouvert rempli de dessins. Iris n'était ni très douée en la matière, ni très rapide, mais comme tout un chacun elle avait pour elle un jardin secret, avec ses trois soleils à visage humain et ses fleurs en tout sens.
Chaque page tournée lui ouvrait une porte vers l'inconnu. Un monde où tous les gens étaient contents, un autre où la guerre n'existait plus, une île isolée de tout où toute la nourriture était bonne pour la santé. Puis encore cet endroit où les animaux pouvaient parler et marcher main dans la main avec les gens, Iris avait toujours été triste de ne pas pouvoir communiquer avec tout ce qui était vivant, elle n'avait que ses camarades de classe et sa famille au milieu d'une infinité d'êtres.
Deux ans plus tard, elle franchirait une porte telle qu'elle n'en avait jamais imaginé. Un inconnu qui dépasserait toutes ses espérances...
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Mar 24 Fév - 13:10
Encore des vieux dossiers êê
Sa rencontre avec le grand livre datait de plus d'une quinzaine d'années. Un jour, dans un bureau sobre et monochrome que les enfants n'avaient en théorie pas le droit de visiter, il s'était faufilé tel Alice fuyant le monde pour courir après son lapin blanc. Sans la robe, et sans le lapin. Simplement porté par sa curiosité, encouragé par l'absence de ses parents. Il n'était à l'époque ni médecin ni fou ; simplement un enfant comme le monde en comptait tant d'autres, auquel les interdits ne résistaient pas beaucoup. Surtout lorsqu'il s'agissait d'entrer dans un tel sanctuaire.
Il avait l'impression que chacun de ses pas hésitant marquait à jamais le tapis presque invisible de la pièce. Que la moindre de ses expirations était traquée, analysée, identifiée. Qu'on allait surgir de la porte ou d'un placard pour lui faire remarquer sa faute. Une angoisse qui se retrouvait noyée dans l'adrénaline, l'intense excitation qui le poussait à continuer son exploration. Il ne cherchait rien en particulier, ou du moins rien d'autre que de connaître un peu mieux son papa. Tout d'abord, en grimpant sur une chaise, il regarda le dessus du bureau ; l'ordinateur onéreux et blanc le fascinait au plus haut point, avec son Windows XP flambant neuf. Le comble de la technologie à l'époque.
Mais il était encore ignorant des merveilles de l'informatique, plus habitué aux livres qu'il lisait avec beaucoup d'ardeur pour son âge. Son attention se reporta vers la bibliothèque attachée au mur. De nombreux ouvrages y étaient rangés avec beaucoup d'attention. Le garçon hésita quelques instants, puis délaissa la chaise pour venir s'extasier devant la première rangée de livres.
Il ne fallut que ce moment pour provoquer la chute fatidique, celle d'un livre visiblement posé à la va-vite sur la table. Maladroitement, l'ouvrage s'abattit sur le gamin et manqua de peu de lui écrasé les pieds. Surpris, il sursauta et attrapa prestemment l'objet afin de le reposer ; celui-ci lui glissa des mains et retomba de nouveau, s'ouvrant cette fois sur une page au hasard.
« TRAITÉ DE MÉDECINE, CHAPITRE 7 »
Et tout avait commencé.
C'était leur premier jour dans cet imposant bâtiment qui plusieurs fois les avait faits s'arrêter pour fantasmer sur le prestige qu'ils auraient, le jour où ils en ressortiraient. C'était une école de médecine, grande et récente, près de laquelle les deux jumeaux vivaient avant même d'entamer leurs études supérieures. Alors, même si aucune autre voie n'avait traversé l'esprit du jeune homme qui, malgré ses souvenirs précis, ne parvenait plus à connaître son véritable nom, le fait de se retrouver là après avoir tant rêvé constituait le paradis.
Un paradis qui fut quelque peu ébranlé lorsqu'il débarqua dans l'amphithéâtre plein à rabord. Le cours ne devait commencer que dans une demi-heure, mais la plupart des places était prises. Après avoir rapidement fait virevolter son regad pour repérer un éventuel trou, il interpella son frère et l'entraîna à l'extrême-bord d'une rangée, où il fallut demander à un inconnu de se serrer pour pouvoir rentrer à deux. Le bruit, la foule, tout cela n'avait pour l'instant rien de bien studieux.
Mais comme cette fois où le livre était soudainement tombé, il vit le professeur entrer dans l'amphithéâtre, se fondre dans la foule et réapparaître quelques instants plus tard au-dessus de l'estrade. Une clef USB branchée plus tard, le diaporama commença.
« MEDECINE, COURS MAGISTRAL N°1. »
Et plus rien ne devait s'arrêter.
Thalès ♦ Début (1)
Sa rencontre avec le grand livre datait de plus d'une quinzaine d'années. Un jour, dans un bureau sobre et monochrome que les enfants n'avaient en théorie pas le droit de visiter, il s'était faufilé tel Alice fuyant le monde pour courir après son lapin blanc. Sans la robe, et sans le lapin. Simplement porté par sa curiosité, encouragé par l'absence de ses parents. Il n'était à l'époque ni médecin ni fou ; simplement un enfant comme le monde en comptait tant d'autres, auquel les interdits ne résistaient pas beaucoup. Surtout lorsqu'il s'agissait d'entrer dans un tel sanctuaire.
Il avait l'impression que chacun de ses pas hésitant marquait à jamais le tapis presque invisible de la pièce. Que la moindre de ses expirations était traquée, analysée, identifiée. Qu'on allait surgir de la porte ou d'un placard pour lui faire remarquer sa faute. Une angoisse qui se retrouvait noyée dans l'adrénaline, l'intense excitation qui le poussait à continuer son exploration. Il ne cherchait rien en particulier, ou du moins rien d'autre que de connaître un peu mieux son papa. Tout d'abord, en grimpant sur une chaise, il regarda le dessus du bureau ; l'ordinateur onéreux et blanc le fascinait au plus haut point, avec son Windows XP flambant neuf. Le comble de la technologie à l'époque.
Mais il était encore ignorant des merveilles de l'informatique, plus habitué aux livres qu'il lisait avec beaucoup d'ardeur pour son âge. Son attention se reporta vers la bibliothèque attachée au mur. De nombreux ouvrages y étaient rangés avec beaucoup d'attention. Le garçon hésita quelques instants, puis délaissa la chaise pour venir s'extasier devant la première rangée de livres.
Il ne fallut que ce moment pour provoquer la chute fatidique, celle d'un livre visiblement posé à la va-vite sur la table. Maladroitement, l'ouvrage s'abattit sur le gamin et manqua de peu de lui écrasé les pieds. Surpris, il sursauta et attrapa prestemment l'objet afin de le reposer ; celui-ci lui glissa des mains et retomba de nouveau, s'ouvrant cette fois sur une page au hasard.
« TRAITÉ DE MÉDECINE, CHAPITRE 7 »
Et tout avait commencé.
Thalès ♦ Début (2)
C'était leur premier jour dans cet imposant bâtiment qui plusieurs fois les avait faits s'arrêter pour fantasmer sur le prestige qu'ils auraient, le jour où ils en ressortiraient. C'était une école de médecine, grande et récente, près de laquelle les deux jumeaux vivaient avant même d'entamer leurs études supérieures. Alors, même si aucune autre voie n'avait traversé l'esprit du jeune homme qui, malgré ses souvenirs précis, ne parvenait plus à connaître son véritable nom, le fait de se retrouver là après avoir tant rêvé constituait le paradis.
Un paradis qui fut quelque peu ébranlé lorsqu'il débarqua dans l'amphithéâtre plein à rabord. Le cours ne devait commencer que dans une demi-heure, mais la plupart des places était prises. Après avoir rapidement fait virevolter son regad pour repérer un éventuel trou, il interpella son frère et l'entraîna à l'extrême-bord d'une rangée, où il fallut demander à un inconnu de se serrer pour pouvoir rentrer à deux. Le bruit, la foule, tout cela n'avait pour l'instant rien de bien studieux.
Mais comme cette fois où le livre était soudainement tombé, il vit le professeur entrer dans l'amphithéâtre, se fondre dans la foule et réapparaître quelques instants plus tard au-dessus de l'estrade. Une clef USB branchée plus tard, le diaporama commença.
« MEDECINE, COURS MAGISTRAL N°1. »
Et plus rien ne devait s'arrêter.
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